C’est le sujet dont tout le monde parle dans le secteur immobilier : un nouveau modèle d’agence lancé fin 2019 vient de faire son introduction en bourse il y a quelques semaines. De nombreux médias ont relayé cette actualité et plusieurs observateurs ont été invité à donner leur avis sur le business model des Agences de papa. Pour ma part, j’ai publiquement exprimé des réserves quant à la capacité de cette entreprise à atteindre un jour la rentabilité avec l’actuel pricing de seulement 2 000€. Cela dit, j’ai peut-être tort et d’autres personnes sont libres d’en faire une lecture différente. L’objet de cet article n’est pas de critiquer le modèle économique de la société mais de s’intéresser aux mouvements boursiers que l’on observe sur le titre depuis sa cotation. Et il y a beaucoup à dire…
Dans le document d’information produit par l’entreprise et publié par Euronext le 10 mai 2021, une valorisation de 22,8 millions d’euros était proposée pour l’introduction en bourse. Ce montant était en cohérence avec l’évaluation retenue lors de la précédente opération d’augmentation de capital du mois d’avril 2021 (opération faite auprès d’investisseurs privés). L’écrasante majorité des experts du marché immobilier s’accordaient alors pour dire que cette valorisation était très élevée. Les entreprises comparables aux Agences de Papa, principalement Liberkeys, Hosman et Proprioo, sont en effet plutôt valorisées entre 10M€ et 20M€ alors qu’elles réalisent chacune au moins 30 fois plus de chiffre d’affaires. Pour rappel, les Agences de Papa n’ont déclaré que 29 000€ de revenus dans leurs comptes consolidés qui couvrent la période allant d’octobre 2019 à décembre 2020.
Depuis l’introduction en bourse du 21 mai 2021, les choses prennent une tournure encore plus préoccupante. La valorisation de la société a ainsi augmenté de 1 300%, atteignant 318 millions d’euros à la fin de la séance du jeudi 3 juin. C’est beaucoup pour une entreprise qui a perdu deux millions d’euros en 2020 et qui ne se caractérise ni par un fort tropisme digital (seulement 4 personnes dans ce service selon le document d’information) ni par une appartenance à un segment de marché particulier comme la Biotech. A titre de comparaison, les Agences de Papa sont aujourd’hui valorisées près de 4 fois plus que Century 21 France, racheté récemment par le groupe Arche pour 84M€. Ils sont également davantage valorisés que leur équivalent anglais PurpleBricks qui réalisent environ 90 000 ventes par an (versus quelques dizaines de ventes pour les Agences de Papa en 2020 selon le document d’information). La croissance de l’entreprise sera certainement forte en 2021, eu égard à la campagne de communication mise en place, mais l’écart avec leur homologue anglais restera considérable.
Bien que confusante, la situation ne serait pas dramatique si la valorisation actuelle était le fruit de quelques rares échanges de titres. Cependant, nous observons chaque jour un nombre croissant de volume échangé sur cette action. Le jeudi 3 juin, près de 27 000 actions ont été arbitrés pour un montant total de 186 000€. Au cours des quatre jours précédents, ce sont environ 115 000 actions qui ont changé de mains pour un montant total d’investissement supérieur à 500 000€. Le titre est le plus échangé (en valeur) de tout le compartiment Euronext Access qui compte plusieurs centaines d’entreprises référencées.
Qui sont les personnes qui dépensent chaque jour des milliers d’euros pour investir dans cette société sur la base d’une valorisation démentielle de 318 millions d’euros ? S’il s’agit d’une montée artificielle du cours, c’est grave et le régulateur doit agir. S’il s’agit de petits épargnants individuels alors c’est encore plus inquiétant. Ces derniers ont pu être dupés par les perspectives peu réalistes proposées par l’entreprise dans le document d’information Euronext ainsi que dans la presse. Pour rappel, les Agences de Papa veulent devenir le « numéro un Français en nombre de transactions d’ici deux à trois ans », et donc réaliser plus de 50 000 ventes par an... Certains épargnants ont également pu se laisser séduire par la présence joviale de Teddy Riner dans les campagnes de communication de l’entreprise. Bien entendu, la société peut encore innover et trouver d’autres sources de revenus en monétisant une part de son trafic, mais qui peut croire que cela sera suffisant pour atteindre les objectifs annoncer officiellement ?
Autre question, qui sont les vendeurs des titres qui trouvent preneurs chaque jour ? Je n'accuse personne. Les dirigeants actuels de la société sont peut-être de bonne foi, mais force est de constater qu'il y a un loup quelque part et que des gens mal intentionnés risquent de profiter de la situation.
Cette histoire peut mal finir, d’abord et avant tout pour les épargnants individuels qui essuieront de lourdes pertes lorsque la bulle éclatera. Par ailleurs, le risque de dégâts collatéraux importants pour l’ensemble de la profession n’est pas nul. Les quelques agences très sérieuses qui facturent des frais fixes pourraient être injustement assimilées à ces pratiques. De même, agences traditionnelles et réseaux de mandataires devraient s’inquiéter de cette envolée boursière totalement déconnectée des réalités économiques. Le métier de conseiller immobilier est un métier noble dont la réputation a déjà été trop abimée par le comportement de quelques acteurs malfaisants. Oui à la concurrence, non à la poudre de perlimpinpin.